En montagne, par temps de brouillard, et lorsque le Soleil, bas sur l'horizon, brille d'un éclat suffisant, il est possible d'apercevoir, à l'opposé, sa propre silhouette, projetée au centre d'auréoles brillantes et colorées...
Mais le plus souvent on le désigne sous le nom de spectre du Brocken, en référence au sommet le plus élevé (1142 m) de la chaîne du Harz (Allemagne) où, apparemment, cette curiosité a conquis une place particulière dans l'imaginaire des habitants.
Sur les montagnes magiques
On a présumé que ces dénominations doivent leur origine aux sites de la grande idole que les Saxons adoraient en secret au sommet du Brocken, lorsque le christianisme était déjà dominant dans la plaine. Comme le lieu où se célébrait ce culte doit avoir été très fréquenté, peut-être que le spectre, qui aujourd'hui le hante si fréquemment au lever du Soleil, s'invitait-il aussi, juste pour faire parler de lui, peut-être d'ailleurs, comme le yéti, qui sur des montagnes bien loin de là, pourrait lui aussi n'être qu'un spectre... au sens optique du terme.
On y reconnaît en fait dans ce phénomène deux parties, d'une part, le spectre anthélique proprement dit, constitué autour d'une zone brillante, appelée gloire, et d'autre part, un système d'anneaux extérieurs, observé dans quelques cas, et appelé arc-en-ciel blanc ou cercle d'Ulloa. La meilleure description du spectre du Brocken est celle qu'en a donnée Hane, qui en fut témoin le 25 mai 1797, et dont nous reproduisons ici le rapport qu'en a fait le Magasin Pittoresque (1833) :
« Après être monté plus de trente fois au sommet de la montagne, il eut le bonheur de contempler l'objet de sa curiosité. Le Soleil se levait à environ quatre heures du matin par un temps serein, le vent chassait devant lui, à l'ouest, vers l'Achtermannshohe, des vapeurs transparentes qui n'avaient pas encore eu le temps de se condenser en nuages. Vers quatre heures un quart, le voyageur aperçut, dans la direction de l'Achtermannshohe, une figure humaine de dimensions monstrueuses. Un coup de vent ayant failli emporter le chapeau de M. Hane, il y porta la main, et la figure fit le même geste. M. Hane fit immédiatement un autre mouvement, en se baissant, et cette action fut reproduite par le spectre.
Une autre personne vint alors rejoindre M. Hane, et tous deux s'étant placés sur le lieu même d'où l'apparition avait été vue, ils dirigèrent leurs regards vers l'Achtermannshohe, mais ne virent plus rien. Peu après, deux figures colossales parurent dans la même direction, reproduisirent les gestes des deux spectateurs, puis disparurent. Elles se remontrèrent peu de temps après, accompagnées d'une troisième. Quelquefois les figures étaient faibles et mal déterminées; dans d'autres moments, elles offraient une grande intensité et des contours nettement arrêtés. On a deviné que le phénomène était produit par l'ombre des observateurs projetée sur un nuage. La troisième image était sans doute due à une troisième personne placée derrière quelque anfractuosité de rocher. »
En novembre 1744, pendant son voyage avec La Condamine dans la Cordillère des Andes, Bouguer fut témoin d'un phénomène semblable au sommet du Pambamarca : « Ce qui nous étonna, dit-il, c'est que la tête de l'ombre était ornée d'une auréole formée de trois ou quatre petites couronnes concentriques d'une couleur très vive, chacune avec les mêmes variétés que le premier arc-en-ciel, le rouge étant en dehors. C'était comme une espèce d'apothéose pour chaque spectateur; et je ne dois pas manquer, d'avertir que chacun jouit tranquillement du plaisir de se voir orné de toutes ses couronnes, sans rien apercevoir de celles de ses voisins.
Je me hâtai de faire, avec les premières règles que je trouvai, un instrument pour mesurer les diamètres. Je craignais que cet admirable spectacle ne s'offrit pas souvent. J'ai en occasion d'observer depuis que ces diamètres changeaient de grandeur d'un instant à l'autre, mais en conservant toujours entre eux l'égalité des intervalles, quoique devenus plus grand ou plus petits. » Le spectre du Brocken se manifeste quelquefois dans des circonstances plus ordinaires, au lever et au coucher du Soleil, quand des brouillards reposent près du sol. Souvent la figure aérienne dont la tête est presque toujours entourée de rayons lumineux, n'est pas plus grande que nature. On comprend que de telles apparitions aient pu servir de nourriture aux légendes qu'on retrouve en diverses contrées, surtout dans les pays montagneux, où les hautes cimes, couronnées de nuages aux contours changeants, aux couleurs variées, jouaient par ailleurs un si grand rôle dans la constitution du symbolisme religieux. - Cercle d'Ulloa et gloire autour d'une ombre d'avion.
(Source : Site de Raymond L. Lee Jr.) - Le cercle d'Ulloa.
On a observé des arcs-en-ciel blancs, ou dont les couleurs étaient extrêmement pâles (rouge à l'extérieur, et le bleu à l'intérieur), formés dans d'épais brouillards. Cette apparence provient de la petitesse des gouttelettes d'eau impliquées : le grand anneau blanchâtre aperçu par Ulloa et Bouguer pendant leur séjour sur le Pichincha (aujourd'hui en Équateur) paraît avoir cette origine. Les dimensions de ce cercle de Ulloa, comme on a coutume de l'appeler, sont celles de l'arc principal ordinaire; et on le voit seulement sur les lieux élevés, en même temps que des auréoles irisées se forment autour des ombres projetées sur le brouillard.
Voici la description qu'en a faite Antonio de Ulloa : « Il se trouvait, dit-il, au point du jour sur le Pambamarca avec six compagnons de voyage; le sommet de la montagne était entièrement couvert de nuages épais; le Soleil, en se levant, dissipa ces nuages; il ne resta à leur place que des vapeurs légères qu'il était presque impossible de distinguer. Tout à coup, au côté opposé à celui où se levait le soleil, chacun des voyageurs aperçut, à une douzaine de toises de la place qu'il occupait, son image réfléchie dans l'air comme dans un miroir; l'image était au centre de trois arcs-en-ciel nuancés de diverses couleurs et entourés à une certaine distance par un quatrième arc d'une seule couleur. La couleur le plus extérieure de chaque arc était incarnat ou rouge; la nuance voisine était orangée; la troisième était jaune : la quatrième paille, la dernière verte. Tous ces arcs étaient perpendiculaires à l'horizon; ils se mouvaient et suivaient dans toutes les directions la personne dont ils enveloppaient l'image comme une gloire.
Ce qu'il y avait de plus remarquable, c'est que, bien que les sept voyageurs fussent réunis en un seul groupe, chacun d'eux ne voyait le phénomène que relativement à lui, et était disposé à nier qu'il fût répété pour les autres. L'étendue des arcs augmenta progressivement, en proportion avec la hauteur du soleil; en même temps leurs couleurs s'évanouirent, les spectres devinrent de plus en plus pâles et vagues, et enfin le phénomène disparut entièrement. Au commencement de l'apparition, la figure des arcs était ovale; vers la fin, elle était parfaitement circulaire. » Le nombre de cercles varie de un à cinq. Ils sont d'autant plus nombreux et bien colorés que le Soleil est très brillant et le brouillard épais et bas. De nombreux témoignages de ce phénomène existe. On en trouve, par exemple, chez Kaemtz, qui l'a vu plusieurs fois dans les Alpes et note que dès que l'ombre était projetée sur un nuage, la tête se montrait entourée d'une auréole lumineuse. Ramond, dans les Pyrénées, de Saussure ont également observé et décrit avec détail le spectre du Brocken. Selon Scoresby, qui l'a observé dans les régions polaires, il apparaît dans les régions polaires chaque fois qu'il y a du brouillard et du Soleil simultanément.
Le 23 juillet 1821, le navigateur rapporte qu'il vit quatre cercles concentriques autour de sa tête : le premier était blanc ou jaune, rouge et pourpre; le second second vert, jaune, rouge et pourpre; le troisième vert, blanchâtre, jaunâtre, rouge et pourpre; le quatrième verdâtre, blanc et plus foncé sur les bords. Les couleurs du premier et du deuxième étaient très vives; celles du troisième, visibles seulement par intervalles, étaient très faibles, et le quatrième n'offrait qu'une légère teinte de vert. Les demi diamètres du numéro quatre, bord interne, étaient de 36° 50' (selon Ulloa et Bouguer, la mesure était plutôt de 33° 30', Bravais au Spitzberg, trouvait 35°), bord externe, 41° à 42°; demi diamètre du numéro trois : 6°30'; demi diamètre du numéro deux : 4°45', du numéro un : 1° 45'. Le cercle numéro 4 auquel Scoresby assigne un diamètre de 40° environ, paraît être fort rare. Selon Raymond Lee, à qui on a emprunté l'image ci-dessus, le phénomène de l'arc-en-ciel blanc a, en fait, été décrit beaucoup plus tôt, en particulier par Léonard de Vinci, qui en propose d'ailleurs une explication dans son Traité de la Peinture, au début du XVIe siècle, Théodoric de Freiberg, au XIIIe siècle, et par Avicenne au XIe siècle. N. B. - Le phénomène décrit ici est différent de celui, plus commun, appelé heiligenschein, qui correspond à l'apparition d'une auréole claire autour de l'ombre de la tête de l'observateur, lorsque celle-ci se projette sur de la rosée déposée sur de l'herbe, par exemple.
Dans ce cas, il y a seulement réflexion de la lumière sur les petites gouttes d'eau sphériques. - Heiligenschein.
(Source : Atmospheric phénomena; © Alexander Wünsche). -
(source : mountainplanet)
L'ombre des montagnes
Lorsqu'on se trouve placé au sommet d'une très haute montagne, l'ombre que projette le Soleil, à son coucher, se dirige vers le ciel, et produit quelquefois un magnifique phénomène, observé par Bravais et Martins, dans une de leurs excursions au mont Blanc. Bravais en a donné la description suivante :
« Le soleil approchant de l'heure de son coucher, nous jetâmes les yeux du côté opposé à l'astre, et nous aperçûmes, non sans quelque étonnement, l'ombre du mont Blanc qui se dessinait sur les montagnes couvertes de neige de la partie est de notre panorama. Elle s'éleva graduellement dans l'atmosphère, où elle atteignit la hauteur d'un degré, restant encore parfaitement visible. L'air, au-dessus du cône d'ombre, était teint de ce rose pourpre que l'on voit, dans les beaux couchers de Soleil, colorer les hautes cimes; le bord de cette teinte offrait une zone plus intense, et cette bordure continue rehaussait l'éclat du phénomène.
Que l'on imagine maintenant les montagnes de la grande vallée d'Aoste projetant, elles aussi, à ce même moment, leur ombre dans l'atmosphère, la partie inférieure sombre avec un peu de verdâtre, et au-dessus de chacune de ces ombres la nappe rose purpurine avec la ceinture rose foncée qui la séparait d'elles; que l'on ajoute à cela la rectitude du contour des cônes d'ombre, principalement de leur arête supérieure, et enfin les lois de la perspective faisant converger toutes ces lignes l'une sur l'autre, vers le sommet même de l'ombre du mont Blanc, c'est-à-dire au point du ciel où les ombres de nos corps devaient être placées, et l'on n'aura encore qu'une idée incomplète de la richesse du phénomène météorologique qui se déploya pour nous pendant quelques instants. Il semblait qu'un être invisible était placé sur un trône bordé, de feu, et que, à genoux, des anges aux ailes étincelantes l'adoraient, tous inclinés vers lui. A la vue de tant de magnificence, nos bras et ceux de nos guides restèrent inactifs, et des cris d'enthousiasme s'échappèrent de nos poitrines. J'ai vu les belles aurores boréales du Nord [sic] avec leurs couronnes zénithales aux colonnes diaprées et mobiles, que nos plus beaux feux d'artifice ne sauraient égaler par leurs effets; mais la vue de l'ombre du mont Blanc me paraît plus grandiose encore. »
(source : cosmovisions)